Résistances

Résistances

Une vérité qui dérange

Les profs. Un sujet universel ! Nous en avons tous eu et lorsque nous sommes parents, ce sont nos enfants qui nous en parlent. Tout le monde a forcément quelque chose à dire sur les profs. Et c'est là qu'intervient une espèce de mythologie qui s'est construite sur les dires de nos enfants, de nos amis ou de nous-mêmes. Bien sûr, les hommes politiques (rappelez-vous la fameuse déclaration de Jean-François COPE stipulant qu'un enseignant du secondaire gagne en moyenne 4000 Euros/mois) ainsi que les journalistes eux aussi jouent un rôle important dans cette gigantesque œuvre de désinformation. J'en veux pour preuve ces extraits d'un article publié par Le Point le 14 décembre 2008 et consultable à l'adresse suivante : http://www.lepoint.fr/actualites-societe/tout-ce-que-l-on-n-ose-pas-dire-sur-les-profs/920/0/297098. Les personnes (elles sont 3 !) qui ont écrit cet article n'ont visiblement pas fait de véritables recherches et à aucun moment ne citent leurs sources comme tout véritable journaliste l'aurait fait. Il est donc temps de rétablir la vérité.

·         « […] un professeur certifié du secondaire qui accepte de donner trois heures de cours supplémentaires hebdomadaires, toute l'année, verra ses revenus annuels augmenter de 4 400 euros. Soit l'équivalent d'un treizième, voire d'un quatorzième mois […]»

Il faut savoir que l'enseignement est un des rares domaines en France où la rémunération de la première heure supplémentaire est inférieure à celle d'une heure incluse dans le service. Contrairement à ce qui a été annoncé par le président de la république, le décret 2008-199 du 27 février 2008 ignore l'engagement de revalorisation des heures supplémentaires de 25%. Ce décret laisse le taux des HSA (Heure Supplémentaire Année) inchangé (http://www.snes.edu/spip.php?article14016). On comprend dès lors la volonté du gouvernement de multiplier les heures supplémentaires, ce qui fait baisser le coût de l'enseignement et permet de moins embaucher. Travailler plus pour gagner moins et créer du chômage semble donc être la priorité de notre ministre.

Enfin, les journalistes (sic) parlent de treizième voire de quatorzième mois. Bien peu de gens, notamment chez les profs, savent aujourd'hui que les salaires sont calculés sur une base de 10 mois, répartis sur 12. Ainsi, contrairement à la croyance populaire, juillet et août ne sont pas rémunérés. Alors que le privé bénéficie souvent d'un treizième voire d'un quatorzième mois, nous n'en sommes avec les HSA qu'à un onzième mois !

·         « La situation est encore pire pour les enseignants du second degré : leurs premiers salaires varient de 1 500 à 2 000 euros net, alors que 39 % d'entre eux ont une maîtrise […]»

D'où sortent ces chiffres ? Pas du ministère c'est certain (http://www.education.gouv.fr/cid1120/remuneration-personnel-enseignant.html) où l'on y apprend qu'un enseignant du secondaire titulaire débute à 1310 € net (le smic est à 1037,53€ http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=natnon04145&reg_id=0) et atteint un plafond de 2931€ net après 30 ans de carrière. Quel cadre du privé accepterait de gagner si peu après autant d'années d'études ? De plus, contrairement au privé, la rémunération ne tient pas compte du nombre d'années d'études : Bac+3, 4 ou 5, c'est pareil (l'année de préparation au concours n'est pas comptée comme année d'étude ! C'est bien connu, pendant cette année-là on glande !)!

·         « […] nul n'ignore que les heures sont plus nombreuses qu'il n'y paraît, que les enseignants corrigent leurs copies à la maison, préparent leurs cours le soir, mais, soyons honnêtes, leurs rythmes sont incomparablement plus légers que ceux de tous les salariés du privé […]»

18h par semaine pour un certifié (seulement 15h pour un agrégé !) : qui ne rêverait pas en effet d'un tel emploi du temps ? Il faut savoir que notre profession est régie par un décret datant de 1950 (à une époque où la durée légale du travail était de 40 heures). Considérant, selon le décret, qu'un enseignant travaille une heure et demie pour une heure de cours devant les élèves en assurant ses obligations de service, comme le détaillent les journalistes (re-sic) du Point, cela revient au total à 45 heures hebdomadaires. Une étude effectuée en 2002 (ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/dpd/ni0243.pdf) nous apprend qu'un prof travaille en moyenne 39h47/semaine, ce chiffre allant jusqu'à 42h55 pour les matières littéraires. On est loin des 35h ! Ainsi, si le temps de travail des salariés du privé a baissé de 25 % depuis 1950, les enseignants doivent toujours le même service !

Et puis, jetons un pavé dans la mare ! Beaucoup disent que les profs sont toujours fatigués. C'est vrai ! Mais qui n'a jamais donné une heure de cours devant une classe de 29 collégiens n'a pas la moindre idée de la fatigue (nerveuse et physique) engendrée. A titre de comparaison, je prendrais l'exemple d'un chanteur sur scène : voyez comme il transpire, comme il est épuisé à la fin de sa représentation. Pourtant il ne fait que chanter ! C'est la même chose pour nous. (se) Donner à un public est quelque chose d'épuisant. Si un concert ne dure que 2h en moyenne, nous pouvons donner jusqu'à 7h de cours en une journée.

·         « 60 % des enseignants du secondaire et 80 % du primaire sont des femmes. Elles ont choisi une vie qui leur permet de rentrer chez elles à 16 h 30 dans le primaire, de disposer de demi-journées entières dans le secondaire et d'avoir les mêmes vacances que leurs enfants […]»

Il est bien entendu que les profs sont des feignasses qui ne pensent qu'à venir travailler le plus tard possible et repartir le plus tôt en attendant avec impatience les vacances, l'œil rivé sur la pendule et le calendrier. Que dire des réunions entre midi et 14h (heures supplémentaires non-rémunérées), des conseils de classe ne finissant pas avant 20h, des rencontres parents/profs officielles (sans compter les rencontres ponctuelles) qui se terminent vers 21h, etc. ? Personnellement, je suis arrivé la semaine dernière à 51h de travail en 5 jours… Bien sûr, il y a les sacro-saintes vacances : mais quel prof ne travaille pas une minute pendant les vacances ? La même étude de 2002 nous dit qu'un enseignant travaille en moyenne 19  jours (jusqu'à 24 jours pour les matières littéraires) pendant les congés de l'année.

·         « Depuis 2003, les grévistes passent à la caisse, ce qui refroidit bien des ardeurs […]»

Personnellement je ne savais pas que les jours de grève étaient payés avant 2003. Je vais devoir demander le paiement de mes journées de grève pour l'année 2002 ! Bien sûr, les jours de grève n'ont jamais été payés. Voici bien la chose la plus stupide que l'on entend régulièrement, souvent véhiculée sans réflexion aucune par de pseudo journalistes. Si tel était le cas, pourquoi n'y a-t-il jamais eu 100% de grévistes auparavant ? Pourquoi des chiffres aussi bas chaque fois ? La logique est bien la chose la moins partagée du monde…

·         « Un enseignant pour 12,2 élèves dans le secondaire […] Un enseignant n'a pas toujours le même nombre d'élèves devant lui, puisqu'un tiers des heures de cours est dispensé en groupe […]»

J'ai personnellement une moyenne de 24,8 élèves/classe (super pour apprendre les langues !). Je ne savais pas qu'un tiers de mes heures était dispensé en groupe. Je vais de ce pas en informer ma hiérarchie afin de rentrer dans le cadre! Là encore, ce calcul simpliste sert à notre cher ministre afin de justifier les suppressions de postes. Malheureusement pour lui, même le plus débile sait que ce chiffre ne représente pas la réalité du terrain.

·         « Les profs de France n'ont à leur disposition que leur salle commune, où crachote une vieille cafetière entre deux tracts syndicaux punaisés sur le panneau de liège […] »

J'ai voulu terminer par cette citation qui montre bien quel estime ont pour nous les trois auteures de l'article du Point. Nous sommes en pleine calomnie. Alors si vous entendez une personne tenir des propos digne du café du commerce concernant la profession d'enseignant, n'hésitez pas à vous servir de ces arguments pour rétablir la vérité. Et sinon, proposez-lui de passer une licence (Bac +3, c'est le minimum) afin de tenter le concours (1% à 26% de réussite en histoire/géographie en moyenne) pour prendre notre place. Il faudra bien sûr dire adieu aux comités d'entreprise, aux congés hors vacances scolaires qui permettent de voyager moins cher, aux primes de déménagement en cas de mutation forcée,  aux participations d'entreprise (pour les cadres auxquels nous sommes assimilés), voiture de fonction et autres avantages en nature...

Bien évidement, cet article est loin d'être complet. Je n'ai parlé ici que de ce qui me concerne et que je connais : la situation des professeurs certifiés. Je vous parlerai dans un prochain article  de la précarité qui règne au sein de l'Education Nationale : TZR, contractuels, vacataires…



14/12/2008
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